Mon rapport au temps a changé quand j’ai travaillé en Ehpad

Mon rapport au temps a changé quand j’ai travaillé en Ehpad.

J’avais 21 ans et je n’ai plus jamais regardé la vie comme avant.


Moi qui pensais atterrir en maternité, j’ai mis un peu de temps à comprendre ce que voulait dire « affectée en Longs séjours ».

Le premier jour, c’est surtout l’odeur qui m’a frappée.

En plein mois d’août 1994, dans des locaux vétustes, sans clim et sans suffisamment de personnel.

J’ai cru que j’allais vomir.



Le soir, je me suis dit que je n’y retournerais pas.

Mes parents étaient en vacances dans le Sud.
Toute seule à la maison.
J’ai retrouvé mon petit copain de l’époque.
Nous avons bu un verre en terrasse.
Retour à la vie.

Lui n’a pas vraiment compris.
Je ne crois pas avoir su lui expliquer.
Je crois même que je ne le pouvais pas.

Terrassée par ce que j’avais vu, entendu, senti, touché et par le goût que cela me laissait dans la bouche.

Mes 5 sens avaient été agressés et il m’était encore impossible d’en parler.



Et puis le lendemain j’y suis retournée.

Et j’ai vu.
La solitude de ceux qu’on ne vient jamais voir.
La désarroi de ceux qui ne peuvent plus bouger, ni parler ;
mais qui sont bien là, présents, conscients.



J’ai vu aussi l’humanité, la bonté, le dévouement, la bienveillance des soignants.
Une solidarité, une gaieté, une gentillesse déployée.

Comme un paravent à la douleur, à cette mort inéluctable, à la tristesse de certaines situations.



J’ai appris sur la vie et la mort en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

Beaucoup plus que n’importe quel gamin de 20 ans.
Bien consciente que c’était un peu tôt.

Lucide sur le fait que cette expérience n’allait pas être anodine.



Je n’ai jamais plus dit que je voulais vivre vieille.
J’ai toujours ajouté « ça dépend dans quel état ».

Je n’ai jamais plus dit que je n’aimais pas vieillir.
J’ai toujours rétorqué « je suis en bonne santé ».

Je n’ai jamais plus dit que je ne voulais pas finir comme ça.
Quand ça t’arrive, c’est trop tard.
Et tu ne peux plus rien faire.



Aujourd’hui, la prise en charge en Ehpad est bien différente de celle d’il y a 30 ans.



Mais je garde toujours au fond de moi ces regards et ces mains dans les miennes.

Ils sont les mêmes.
Hier ou aujourd’hui.

Et ils ont tout autant besoin d’amour.



Ça n’a rien à voir avec l’âge.

Ça a à voir avec l’attention que tu portes aux autres et que l’on te porte.


🦋

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